Il arrive fréquemment que certains schémas soient mis en œuvre sans véritable réflexion approfondie. C’est notamment le cas d’un apport de titres, portant sur des filiales opérationnelles ou immobilières, au profit d’une holding, suivi d’une distribution de dividendes.

Dès lors que le praticien a vérifié que les conditions d’application du régime de report ou de sursis d’imposition sont bien remplies, il rédige les actes et met en signature l’ensemble des documents nécessaires. 

Une fois placée sous la holding, la filiale distribue un dividende afin que la trésorerie puisse servir dans un autre projet. 

Ce faisant, le contribuable n’a supporté qu’une imposition minime. La plus-value d’apport des titres n’a pas été imposée, et la distribution de dividendes a bénéficié du régime mère-fille. Seul un frottement fiscal de l’ordre de 1,3% doit être anticipé. 

Le client est averti des évènements mettant fin au report d’imposition, ainsi que des principales conditions exigées pour sécuriser l’application du régime mère-fille. Mais ces critères sont le plus souvent remplis, si bien que le contribuable prend le report pour définitivement acquis, tout comme la quasi exonération des dividendes distribués. 

Pourtant, l’administration conserve une arme pour contrôler ses opérations et les requalifier si besoin. La procédure d’abus de droit lui permet d’écarter les actes si elle estime qu’ils n’ont été motivés que par un motif principalement ou exclusivement fiscal

Apport de titres suivi d’une distribution de dividende : l’objectif de favoriser les restructurations d’entreprises

Le report d’imposition et le régime mère fille partagent un objectif commun : favoriser les restructurations à moindre coût fiscal. 

Le report d’imposition s’applique de plein droit aux apports de titres

Lorsqu’un associé apporte les titres d’une filiale à une holding, l’opération génère en principe une plus-value. Celle-ci résulte dans la prise de valeur des titres de la filiale entre la date de leur souscription et celle de l’apport. 

Par exemple, les titres d’une SCI constituée il y a 15 ans pour l’acquisition par voie d’emprunt d’un actif immobilier n’ont plus la même valeur aujourd’hui. L’emprunt s’étant amorti, les résultats s’étant agrégés au bilan, et la valeur de l’immeuble ayant potentiellement augmenté, il s’en suit une appréciation de la valeur des titres. 

Lorsque l’apport porte sur des titres d’une SCI à l’IS, au profit d’une holding elle aussi assujettie à l’IS et contrôlée par l’apporteur, la plus-value bénéficie d’un report d’imposition. Autrement dit, aucune imposition n’est due au jour de l’apport. Le report prend fin, et l’imposition devient exigible, dans certains cas limitativement listés par l’article 150-0 B ter du CGI. Dans la majorité des cas, ces évènements ne se produisent jamais. Le report n’expire donc pas, et la plus-value ne supporte jamais l’impôt.

Si l’apport porte sur des titres d’une SCI à l’IR au profit d’une holding assujettie à l’IS, celui-ci bénéficie d’un régime de sursis. Le sursis offre des garanties encore plus souples que celles du report d’imposition. Plus favorable, le sursis ne prend en pratique jamais fin et la plus-value d’apport n’est pas imposée. 

Ces deux régimes (report et sursis) ont pour objectif de favoriser les opérations de restructuration d’entreprises à moindre coût fiscal. Les groupes de sociétés peuvent ainsi évoluer sans craindre une taxation confiscatoire. Cette faculté d’adaptation au contexte juridique et économique permet aux dirigeants d’être rassurés quant à la structure de leur groupe et la stabilité fiscale. 

Pour autant, si l’objectif du législateur était d’offrir de la flexibilité aux entrepreneurs qui participent à la création de richesse, il n’était sans doute pas d’ouvrir la même brèche aux propriétaires d’actifs immobiliers. Or, il faut constater qu’aujourd’hui, de nombreuses opérations éligibles au report ou sursis d’imposition ne sont pas des restructurations économiques mais de simples opérations patrimoniales, dont l’objectif est parfois, voire souvent, d’éviter une fiscalité plus lourde. Cette utilisation du dispositif n’est cependant pas contraire aux textes, dans leur rédaction actuelle. En effet, l’article 150-0 B ter n’instaure aucune limitation quant à l’activité des sociétés filiales éligibles au report d’imposition. Elles peuvent exercer une activité économique mais cela n’est pas une condition. Ainsi, ce n’est que sur le terrain de l’abus de droit que l’administration pourrait critiquer ces opérations. 

Le régime des sociétés mères est d’application quasi systématique

Le constat est identique pour l’exonération des dividendes distribués par les filiales au profit des holdings. Le régime des sociétés mères impose simplement parmi ses conditions une détention d’au moins 5% et une conservation des titres de la filiale pendant au moins 2 ans. 

Ces conditions sont automatiquement remplies dans les groupes familiaux et dans les opérations patrimoniales courantes, où les holdings détiennent la quasi-totalité du capital des filiales. 

Initialement créé pour favoriser la circulation de la trésorerie à l’intérieur des groupes de sociétés, ce régime permet de distribuer les liquidités à moindre coût fiscal. Seule une quote-part pour frais et charges de 5% du dividende est imposée dans le résultat de la holding recevant la distribution. 

Ce faisant, les bénéfices d’une filiale peuvent servir à la holding du groupe, qui pourra les réinjecter dans d’autres activités nécessitant des liquidités, le tout contre un frottement fiscal de 1,3%. 

De la même manière qu’à propos du report d’imposition, les opérations patrimoniales reposent aujourd’hui en très grande partie sur ce dispositif. Ainsi, le bénéfice d’une SCI à l’IS détenue par une holding fait l’objet d’une distribution imposée à seulement 1,3%. Ce schéma évite aux associés de supporter l’impôt de distribution de 30%, ce qui présente un intérêt certain lorsque les liquidités n’ont pas vocation à être employées pour des projets personnels mais plutôt à être réinvesties dans d’autres actifs. 

Là encore, le texte de l’article 145 du CGI n’interdit pas aux sociétés patrimoniales, et notamment immobilières, de bénéficier de ce régime d’exonération. Par conséquent, ce n’est que par la voie de l’abus de droit que l’administration peut contrôler les opérations qui lui semblent ne pas répondre aux objectifs du législateur.  

apport holding dividende

L’abus de droit en présence d’apport de titres et distribution de dividendes

L’abus de droit reste une situation exceptionnelle qui ne doit pas empêcher les contribuables de réaliser les opérations projetées. Le rôle de l’avocat fiscaliste est simplement d’encadrer ces opérations et y apporter le cadre nécessaire à sa sécurité juridique et fiscale.

Des opérations déjà qualifiées d’abusives dans certains cas

L’abus de droit n’est pas nouveau en matière d’opérations patrimoniales. 

S’agissant du report d’imposition, on se rappelle des décisions encore récentes rendues par différentes juridictions à propos des soultes concomitantes aux apports de titres. Dans ces dossiers, l’apporteur était rémunéré par la remise de titres de la holding, laquelle inscrivait à son compte courant une soulte d’un montant inférieur à 10% de la valeur nominale des titres émis, bénéficiant elle aussi d’un report d’imposition. Ainsi, l’associé bénéficiait d’un report d’imposition globale, tout en retirant des liquidités de l’opération d’apport. Ces opérations, jugées à une certaine époque comme « courantes » et « sans risques » ne sont désormais plus possibles car sans intérêt. Pour autant, avant modification et malgré cette possibilité offerte par le texte, plusieurs opérations ont été remises en cause sur le terrain de l’abus de droit. Une vague de contrôles fiscaux qui a donné lieu à une abondante jurisprudence, jusqu’au Conseil d’Etat, pour confirmer au cas par cas, les opérations constitutives d’un abus et celles qui ne l’étaient pas, à l’aune du critère de l’intérêt social pour la société bénéficiaire de l’apport. 

A propos des dividendes aussi, la question de l’abus de droit s’est posée. On songe par exemple récemment aux schémas dits coquillards, dans lesquels les titres d’une filiale profitable étaient achetés, avec par la suite la distribution d’un dividende sous régime mère-fille, puis la dotation d’une dépréciation des titres de la filiale vidée de sa substance et la réalisation d’une moins-value d’annulation. Si ce schéma n’heurtait pas les textes et l’enchainement des avantages fiscaux qui découlaient des opérations, il a pourtant abouti à une salve de rectifications fiscales sur le terrain de l’abus de droit. Dans les dossiers les plus « faciles » à traiter pour l’administration se trouvaient les filiales achetées puis vidées de toute leur substance par voie de distribution de dividende, manifestant ainsi l’arrêt de toute activité économique et donc la contrariété flagrante à l’intention du législateur en instituant le régime mère-fille. 

Ces cas d’abus nous démontrent s’il en était besoin qu’aucun schéma n’est anecdotique et qu’une remise en cause d’opérations qui peuvent apparaitre comme étant banales est toujours possible.

Les préconisations pour limiter le risque de critiques à la suite d’un apport et d’une distribution

Report d’imposition et régime des sociétés mères reposent tous les deux sur un socle commun : permettre aux contribuables et aux sociétés de se réorganiser en limitant les frottements fiscaux, à la condition qu’aucune partie ne soit lésée. 

Par conséquent, certaines opérations nous apparaissent d’emblée devoir être totalement prohibées. Ainsi, on exclura évidemment les schémas d’apports de titres suivis d’une distribution massive de dividendes à la holding, laissant ainsi la filiale vide de sa trésorerie. Celle-ci ne pouvant plus exercer d’activité, elle serait considérée comme inexploitable par l’administration fiscale, laquelle pourrait ainsi refuser l’application du régime des sociétés mères aux dividendes distribués, voire remettre en cause le report d’imposition sur la plus-value d’apport. 

On évitera aussi de réaliser des opérations de réinvestissement économique artificielles dont le seul but est de respecter le remploi posé par l’article 150-0 B ter du CGI. A trop vouloir respecter le texte de manière forcée, le contribuable pourrait démontrer une intention purement fiscale à l’opération et ainsi mettre en danger son report d’imposition. 

De manière plus générale, nous conseillons aux contribuables de faire preuve de grande vigilance, dans la mesure où l’administration fiscale s’intéresse depuis plusieurs mois de près à ces opérations patrimoniales bénéficiant d’avantages fiscaux qu’elle estime devoir réserver aux entreprises en ayant réellement besoin. Certains contrôles en cours et d’autres terminés ont montré une volonté de la part du service de critiquer les schémas dans lesquels le contribuable avait cherché à cumuler les avantages fiscaux (report d’imposition et régime mère-fille par exemple). Plus que jamais, la prudence est de mise et les opérations doivent être mûrement réfléchies en amont avec vos conseils.