Le pacte Dutreil bénéficie encore d’une fiscalité clémente, mais pour combien de temps ?
Certains dispositifs fiscaux n’évoluent pas pendant de nombreuses années, jusqu’au jour où le législateur décide de s’emparer du sujet. En 2023, incités par une jurisprudence non arrangeante, les pouvoirs exécutifs et législatifs ont décidé de frapper un grand coup sur le dispositif Dutreil.
La majorité en place semble une nouvelle fois tourner le dos à l’immobilier qu’elle considère comme une activité de rente, et non économique.
Alors qu’un amendement adopté pourrait déjà rendre inefficiente la jurisprudence de la Cour de cassation, voici que se préparerait une nouvelle modification majeure à venir dans les prochaines semaines, réduisant encore l’intérêt du dispositif Dutreil.
Pacte Dutreil et patrimoine immobilier loué meublé
Un temps admis par la Cour de cassation, le législateur a immédiatement douché les espoirs des contribuables, sous réserve des éventuels recours.
Le texte actuel ne prévoit pas l’exclusion de la location meublée
Rappelons que la rédaction de l’article 787 B du code général des impôts a déjà plusieurs années.
Ceci explique que la place du patrimoine immobilier loué meublé n’est pas la même que celle donnée par d’autres textes. Par exemple, l’IFI, bénéficiant d’une rédaction plus récente et collant davantage aux objectifs politiques de l’actuelle majorité, n’a pas été imaginé selon la même définition.
Dès lors, la notion de locaux loués meublés et le traitement fiscal en découlant varient en fonction des impôts en jeu. La rédaction du texte en matière d’IFI peut aboutir à une exclusion de la location meublée du bénéfice de l’exonération, tandis que celle en matière de droits de mutation à titre gratuit (Pacte Dutreil) pouvait encore aboutir à une éligibilité à l’exonération de 75%.
C’est précisément ce qui ressortait de l’analyse des récents arrêts rendus en 2023 par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat.
Le nouvel article en vigueur dès le 17 octobre 2023
L’amendement I-5400 déposé par le gouvernement modifie la rédaction de l’article 787 B du code général des impôts.
Désormais, l’activité de location portant sur des locaux d’habitation meublés, ou des locaux commerciaux équipés, ne bénéficiera plus du dispositif Dutreil.
Mais ce qui interroge, ce n’est pas tant la volonté politique du gouvernement de pénaliser l’immobilier, mais la date d’applicabilité de cette nouvelle règle.
En effet, le texte s’appliquerait aux transmissions intervenues à compter du 17 octobre 2023. Notons tout d’abord que le gouvernement a senti venir ce que nous évoquions dans notre article du 10 octobre 2023, à savoir un effet d’aubaine d’ici la fin d’année civile. Ce faisant, il souhaite empêcher toute application, même à la marge, de la jurisprudence de la Cour de cassation, puisque comme on le sait, la date de la transmission « intervenue » correspond à celle figurant sur le tampon délivré par les services de l’enregistrement.
Nombreux praticiens s’interrogent déjà sur la légalité de la date d’entrée en vigueur. Il faut relever que le principe de rétroactivité n’a pas valeur constitutionnelle, mais que la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’invalider l’application de nouvelles dispositions pour rétroactivité (voir par exemple l’arrêt du 7 avril 1992 rendu en matière d’imposition résultant d’un démembrement de propriété).
La probable proratisation du Dutreil aux actifs non animés des sociétés
Au-delà de l’amendement excluant la location meublée du dispositif Dutreil, il semblerait que la majorité souhaite également introduire une notion de proratisation.
La proratisation du Dutreil implicitement proposée par un rapporteur public
De nombreux débats ont émergé pour savoir dans quelle mesure le dispositif Dutreil s’appliquait aux sociétés ayant une activité mixte. Ce cas de figure visait notamment le cas des sociétés exerçant une activité commerciale (par exemple l’achat-revente de biens immobiliers) et une activité civile (par exemple, la location de biens immobiliers).
Juges judiciaire et administratif s’entendent pour interpréter le texte de sorte à ce que le dispositif Dutreil s’applique aux sociétés exerçant une activité mixte, dès lors que l’activité commerciale est principale, c’est-à-dire prépondérante.
Le Conseil d’Etat a censuré le 23 janvier 2020 la doctrine administrative en ce qu’elle prévoyait comme critère de prépondérance une condition cumulative de prédominance du chiffre d’affaires commercial et des actifs immobilisés.
Mais les praticiens intéressés auront sans nul doute été lire les conclusions du rapporteur public Monsieur Romain Victor. Ce dernier y indique que la décision du Conseil d’Etat porte exclusivement sur l’éligibilité des transmissions de « sociétés mixtes » au dispositif Dutreil. En revanche, elle ne se prononce en aucun cas sur l’étendue de l’exonération de 75%. Pour autant, le rapporteur public écrit explicitement qu’une exonération de la valeur totale provoquerait un effet d’aubaine. A le lire, certains chefs d’entreprises seraient tentés d’inscrire à l’actif de leur société des actifs patrimoniaux pour bénéficier, à titre collatéral, du régime Dutreil sur 100%.
Un amendement du gouvernement pour légaliser cette observation
Il faut rappeler que le texte ne prévoit actuellement pas cette proratisation. On pourrait difficilement y voir un oubli du législateur puisque le code général des impôts prévoit lui-même la proratisation pour la transmission des titres de sociétés interposées.
D’après nos informations, la majorité présidentielle présenterait devant le Sénat un nouvel amendement pour appliquer cette proratisation de manière plus large, et aller dans le sens des observations faites par le rapporteur public synthétisées ci-dessus.
Ce faisant, l’amendement qui pourrait être déposé courant novembre porterait un nouveau coup au dispositif Dutreil, le rendant moins optimisant pour les contribuables ayant mélangé actifs économiques et patrimoniaux. La portée de cet amendement reste à définir. Néanmoins, on peut tout de suite s’interroger sur l’étendue des exclusions. En premier lieu, on pense bien évidemment aux titres de sociétés patrimoniales et à la location. Mais, de manière plus insidieuse, quel sera le sort réservé à la trésorerie non affectée des sociétés d’exploitation ? Comment définir les liquidités affectées aux réinvestissements et celles constituant un fonds de sécurité ?
Autant de questions qui ne recevront vraisemblablement pas de réponse dans les prochaines semaines, et qui entretiendront donc les échanges avec l’administration fiscale.
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