Le quasi-usufruit constitue un outil de transmission intéressant au plan fiscal. Il permet de conserver le droit de disposer du bien donné.
La clause de quasi-usufruit relève de l’article 587 du code civil. Prévu uniquement pour les choses qui se consomment (argent notamment), la jurisprudence a étendu le mécanisme aux actions et parts sociales.
Aujourd’hui, le mécanisme de quasi-usufruit peut servir aux chefs d’entreprises qui souhaitent transmettre la nue-propriété des titres de la société à leurs enfants tout en conservant un maximum de droits financiers.
La loi de finances pour 2024 a durci le régime fiscal du quasi-usufruit au jour du décès du quasi-usufruitier.
Le nouvel article 774 bis du code général des impôts dispose à ce sujet que les dettes de restitution portant sur une somme d’argent ne sont pas déductibles de l’actif successoral si le défunt s’en était « réservé » l’usufruit.
Comment interpréter cette clause et faut-il en déduire que tous les schémas de transmission sont ciblés par la mesure ?
Quel est le fonctionnement d’un quasi-usufruit ?
Le quasi-usufruit réduit temporairement le droit du nu-propriétaire.
Le quasi-usufruitier a un droit étendu
Le démembrement de propriété aboutit à distinguer les droits du nu-propriétaire et ceux de l’usufruitiers. En principe, le nu-propriétaire conserve le droit de disposer du bien dont la propriété est démembrée. Autrement dit, il doit notamment donner son accord pour la vente.
En cas de quasi-usufruit, le quasi-usufruitier peut disposer du bien sans obtenir l’accord du nu-propriétaire. Ce droit a pour contrepartie l’obligation pour le quasi-usufruitier de restituer au nu-propriétaire la même valeur que ce qu’il a consommé, à la fin du démembrement c’est-à-dire généralement au décès du quasi-usufruitier.
Ce droit du nu-propriétaire constitue une créance de restitution. La restitution en valeur offre une grande souplesse au quasi-usufruitier, qui peut céder le bien et remployer le prix de vente sur une autre catégorie d’actifs. Par exemple, s’agissant d’un démembrement portant sur des parts sociales de SCI, on pourra envisager après la vente du bien immobilier le remploi du prix dans la souscription d’un placement financier.
Ce droit étendu convainc généralement les clients souhaitant transmettre tout en conservant les pouvoirs jusqu’à leur décès. En effet, le couplage du quasi-usufruit avec une rédaction particulière des statuts permet aux parents de contrôler la société et de continuer à gérer le patrimoine en toute sérénité.
Précisons tout de même que cette souplesse possède quelques limites, notamment s’agissant des transmissions portant sur une entreprise. En effet, il faudra faire preuve d’habileté rédactionnelle pour respecter les règles posées en matière de pacte Dutreil.
Mais le nu-propriétaire a une créance de restitution au décès du quasi-usufruitier
La restitution s’effectue en valeur ou en nature. Généralement, cette modalité figure dans l’acte de donation.
Comme pour l’usufruit, le quasi usufruit peut faire l’objet d’une réversion sur la tête d’un tiers au décès du quasi-usufruitier. En pratique, ce schéma permet, au décès du premier des deux parents, de conférer à l’autre les droits financiers et droits de vote portant sur l’actif qui appartenaient au défunt. On parle alors de quasi-usufruit successif.
Au plan fiscal, il n’existe aucune raison de taxer différemment l’usufruitier du quasi-usufruitier, même si le sujet divise certains praticiens, notamment lorsque le quasi-usufruit s’écarte de la lettre de l’article 587 du code civil et porte sur des choses non consomptibles comme des immeubles ou titres de sociétés.
Dans le même sens, que se passe-t-il si la valeur des biens transmis au décès du quasi-usufruitier est supérieure à celle du droit initialement donné ? L’administration pourrait-elle qualifier l’opération de donation facultative ? Rappelons qu’il s’agit d’une donation dans laquelle le donateur peut exercer sa faculté de substitution en remplaçant le bien donné par un autre actif, d’une valeur supérieure. En pareil cas, un supplément de droits est appelé par l’administration (BOI-ENR-DG-20-20-70 n° 290). Faut-il faire le parallèle entre un quasi-usufruit et la donation facultative ? La majeure partie des avocats s’y refuse, puisque le mécanisme du démembrement de propriété ne prévoit actuellement pas de réévaluation de la nue-propriété.
La créance du nu-propriétaire est-elle déductible à la succession ?
La loi de finances pour 2024 a apporté une précision importante sur cette question, mais a également soulevé un flou d’interprétation.
En principe, la créance de restitution s’inscrit au passif successoral
On rappelle que lorsque l’usufruit s’éteint au jour du décès du quasi-usufruitier, la dette de restitution qu’il a envers le nu-propriétaire va au passif de la succession, et vient donc en déduction de l’assiette des droits de succession. Cette règle découle directement de l’article 768 du code général des impôts.
Certains praticiens se sont emparés de ce mécanisme pour faire porter la donation avec mécanisme de quasi-usufruit sur des sommes d’argent. L’administration avait tenté a plusieurs reprises de qualifier un abus de droit, notamment en soutenant qu’en pareil cas, le donateur ne s’était pas dessaisi des liquidités, et n’avait ainsi aucune intention libérale. Dans un avis du 11 mai 2023, le comité de l’abus de droit avait pourtant invalidé cette analyse en indiquant qu’il n’y avait pas abus à condition que les liquidités transmises figurent réellement sur le compte de celui qui les donne (Avis CADF 11-5-2023 n° 2022-15).
Désormais, l’article 774 bis a pour objet de mettre un terme à cette optimisation fiscale en matière de transmission.
Le texte est cependant particulièrement difficile à lire :
- D’une part, selon le I, la dette de restitution ne peut plus figurer au passif successoral du défunt
- D’autre part, le II prévoit que la valeur de la dette de restitution non déductible de l’actif successorale donne lieu à la perception des droits de succession chez le nu-propriétaire.
L’application combinée du I et du II semble ainsi conduire à une situation de double imposition pour le moins curieuse.
On attendra donc avec attention les commentaires de l’administration fiscale sur ce texte.
L’alinéa 2 du texte précise que la dette de restitution reste déductible de la succession si elle porte sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, à condition de pouvoir démontrer que la dette n’a pas été contractée dans un but principalement fiscal.
Comment adapter la transmission au nouveau texte ?
A la lecture du texte, nul doute que certains schémas ne sont plus permis car, soit directement proscrits, soit ciblés comme trop agressifs fiscalement.
Cependant, en même temps que le texte semble réduire l’utilisation du quasi-usufruit, n’aurait-il pas également ouvert la voie à de nouvelles réflexions ?
La pratique du quasi-usufruit portant directement sur des sommes d’argent ne constituait pas la majeure partie des transmissions au bénéfice desquels le mécanisme présente un intérêt fiscal et patrimonial.
Le démembrement de la propriété des titres de sociétés demeure un champ d’application opportun pour les praticiens qui trouveront dans la rédaction du nouveau texte et les futurs commentaires de l’administration des pistes intéressantes à explorer pour continuer à favoriser les opérations de donations, tout en veillant à ne pas tomber dans le cadre d’un schéma abusif qui aurait pour effet de remettre en cause l’effet bénéfique de la transmission.
AGBC AVOCATS continue à vous assister dans la réflexion sur ces sujets de fiscalité patrimoniale.