Comme le bon vin, l’immobilier se bonifie avec le temps. Il arrive fréquemment que la valeur brute d’un immeuble inscrit au bilan d’une SCI ne reflète plus sa valeur réelle, ce que les associés peuvent décider de corriger en procédant à une réévaluation libre de l’actif.

L’opération se traduit par la constatation d’un écart de réévaluation inscrit au passif, ce qui a pour effet d’augmenter les fonds propres de la société et peut présenter certains avantages, notamment dans l’optique d’obtenir un financement bancaire.

Mais le mécanisme pose plusieurs questions d’ordre fiscal.

Quelle est la fiscalité lorsque l’écart de réévaluation constaté par la SCI fait l’objet d’une distribution aux associés ?

Quel sort réserver à un écart de réévaluation constaté en période de translucidité fiscale, lors d’une option ultérieure pour l’assujettissement à l’IS ? La société nouvellement passible de l’IS peut-elle amortir l’immeuble sur sa base réévaluée ?

Une société civile n’est pas une société commerciale, quoi que …

La distribution de l’écart de réévaluation est interdite pour les sociétés commerciales mais qu’en est-il pour une société civile ?

Le code de commerce interdit la distribution de l’écart de réévaluation

En réévaluant ses actifs, l’entreprise ne crée aucun bénéfice au plan comptable. Elle ne fait que prendre une décision de gestion (qui lui est opposable) pour relever la valeur de ses actifs qu’elle estimait décotée.

Dès lors, il serait étonnant d’autoriser les associés à appréhender un dividende qui n’a aucune existence juridique.

C’est bien ce que prévoit l’article L232-11 du code de commerce en son dernier alinéa, qui se justifie entièrement dans les sociétés commerciales par actions où la responsabilité des associés est limitée à leurs apports. Rappelons d’ailleurs que l’article L241-3 du code de commerce sanctionne le délit de dividende fictif en faisant peser sur le dirigeant de la société concernée une responsabilité pénale importante.

Le code de commerce est-il applicable aux sociétés civiles ?

Certains auteurs considèrent l’article applicable aux sociétés civiles, tandis que d’autres estiment que la notion de dividende n’a pas sa place à propos des sociétés civiles translucides fiscalement. On relèvera tout de même que, même si la notion « fiscale » du dividende n’existe pas à propos des SCI non assujetties à l’IS, il n’en demeure pas moins que la notion purement « juridique » est bien applicable.

Quant au fait d’exclure les sociétés civiles du champ d’application de ces dispositions en se fondant sur l’étendue de la responsabilité des associés, nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’un argument valable. Il paraitrait étrange d’admettre que l’on puisse faire varier l’application d’un texte en fonction d’un critère non inscrit dans la loi. En outre, ce n’est pas parce que les associés d’une société civile sont tenus d’une responsabilité supérieure à ceux d’une société par actions que l’on peut accepter de soustraire aux fonds propres une somme qui ne génère aucun profit matérialisé.

C’est d’ailleurs la position que retient également le Conseil d’Etat qui a déjà appliqué les dispositions du code de commerce aux sociétés civiles, comme dans sa décision Cofathim du 12 juillet 2013, où la SCI translucide tenait volontairement une comptabilité commerciale. Dans ce cas de figure, on comprend aisément qu’elle ne puisse pas « piocher » dans le code de commerce les dispositions qui lui sont favorables et s’abstenir de respecter celles qui ne le sont pas.

La Haute juridiction a précisé sa jurisprudence et s’est à nouveau prononcée sur le sujet dans son arrêt JMD du 19 septembre 2018, dans lequel elle a précisé qu’une SCI non obligatoirement tenue à une comptabilité commerciale ne pouvait se prévaloir des dispositions du code de commerce vis-à-vis de l’administration fiscale. En l’occurrence, la SCI translucide exclusivement détenue par des personnes physiques avait procédé à une réévaluation d’actif au sein d’un exercice, et les titres avaient par la suite étaient cédés à une société relevant de l’IS, justifiant de son point de vue une base amortissable réévaluée sans avoir eu à taxer l’écart de réévaluation, ce que l’administration et le Conseil d’Etat n’ont pas accepté.

fiscalité écart de réévaluation

Une distribution de l’écart de réévaluation génère une fiscalité

Dans la mesure où cette situation n’est juridiquement et comptablement pas admise, le droit fiscal en tire toutes les conséquences.

L’écart de réévaluation inscrit aux capitaux propres n’est pas taxable, sauf appréhension par les associés

Les dispositions de l’article 150 U du code général des impôts prévoient que seules les plus-values réalisées à l’occasion de la cession à titre onéreux d’un bien immobilier sont imposées. Or il ne fait pas de doute qu’une réévaluation libre d’immeuble n’emporte aucun transfert de propriété. Cette position, un temps reposant sur la réponse ministérielle n° 33299 à M. Jean-Michel Dubernard, non reprise au Bofip mais conservant à notre sens toute sa portée, a été confirmée par Benoit Bonhert, commissaire du gouvernement sous l’arrêt précité.

Pour autant, la jurisprudence a également considéré qu’une écriture comptable ayant pour effet de transférer l’écart de réévaluation des capitaux propres vers les comptes courants des associés avait pour effet de déclencher l’imposition du gain qui ne pouvait plus être qualifié de « latent » puisqu’indûment appréhendé par les associés.

La solution peut surprendre, puisqu’on a du mal à faire le lien juridique entre une écriture comptable et la notion de « cession à titre onéreux » figurant dans la lettre de l’article 150 U. En outre, elle pose plusieurs problématiques, notamment sur le calcul de cette plus-value, et sa combinaison avec celle qui serait définitivement constatée lors de la vente ultérieure du bien, voire sur la compensation entre la plus-value liée à la distribution de l’écart et la moins-value réalisée lors de la vente du bien. Des questions d’ordre plus pratique se posent également, notamment sur la nécessité de souscrire une déclaration 2048 IMM, l’application et le calcul des abattements pour durée de détention, l’intervention d’un notaire etc. Nous vous recommandons la plus grande prudence dans la mise en place de ces opérations et de vous faire correctement accompagner pour éviter toute critique sur le terrain de l’abus de droit.

Est-il abusif de constater un écart de réévaluation dans une SCI à l’IR avant de la faire passer à l’IS ?

Un cas de figure ne semble pas encore avoir été explicitement traité par la jurisprudence. Il concerne la situation dans laquelle l’écart de réévaluation est constaté durant un exercice où la SCI répond encore à un régime de translucidité fiscale et n’est donc pas astreinte à la tenue d’une comptabilité commerciale. Pour autant, si l’un des associés de la SCI est une personne morale relevant de l’IS, les dispositions de l’article 238 bis K, I, al. 1er vont contraindre la SCI à tenir une comptabilité commerciale, ce qui la fera rentrer dans le cas de figure visé par le Conseil d’Etat dans son arrêt de 2018, et rendrait ainsi la réévaluation opposable à l’administration fiscale.

Il en résulterait ainsi deux conséquences principales. La première, relative à l’imposition générée du fait de l’écart de réévaluation, mais uniquement applicable à l’associé relevant de l’IS, dans la mesure où pour les personnes physiques relevant du régime des revenus fonciers, cette opération est inexistante au plan fiscal comme rappelé dans l’arrêt de 2013. La deuxième, quant à la base amortissable des actifs, puisque la présence d’un associé assujetti à l’IS permet de placer l’opération dans le champ de la comptabilité commerciale, et donc de retenir une base réévaluée pour le calcul des amortissements, certes, toujours à proportion de la participation détenue par l’associé relevant de l’IS, sauf à ce que cet associé monte progressivement au capital de la SCI au cours des exercices suivants pour étendre l’application des règles IS sur 100% du résultat de la SCI et donc, la déductibilité de l’amortissement.

Ce faisant, les associés seraient-ils parvenus à constater un écart de réévaluation non imposable tout en augmentant la base amortissable ? Rien n’est moins sûr, car qui dit effet d’aubaine dit risque de critiques. A ce sujet, contentons-nous peut-être simplement de rappeler les écritures de l’administration dans son mémoire en défense dans l’affaire JMD, reprise par le rapporteur public : « on ne peut avoir les avantages sans les inconvénients ni vouloir le beurre et l’argent du beurre ».

A notre connaissance, la jurisprudence ne s’est encore jamais prononcée sur le cas de figure voisin dans lequel une SCI exclusivement détenue par des personnes physiques réévaluerait ses actifs et opterait pour son assujettissement à l’IS avec application des dispositions de l’article 202 ter du code général des impôts, se traduisant par une inscription des actifs au bilan d’ouverture pour leur valeur réelle, entrainant le rehaussement de la base amortissable et une imposition des plus-values latentes selon le régime des plus-values des particuliers.


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