La création d’une holding permet de faire circuler l’argent à l’intérieur du groupe de société. Mais la holding peut-elle prêter sa trésorerie à une société qu’elle ne détient pas ? Autrement dit, faut-il un lien capitalistique minimum pour consentir un prêt de liquidités ?
La documentation disponible reste très souvent muette sur ce sujet. Les praticiens ne prennent généralement pas position par crainte de tomber de la critique fiscale.
Cette situation pose question, que ce soit au plan juridique ou fiscal.
Cependant, dans certains cas de figure, le contexte et la justification des opérations peuvent laisser entrevoir une possibilité de réaliser le schéma dans des conditions sécurisantes.
Notons qu’en pratique, le prêt par une holding à une société qu’elle ne détient pas peut concerner plusieurs typologies de clients. On peut citer certaines professions libérales, dont les dentistes, pour lesquels une relation capitalistique entre une holding de droit commune et leur SELARL est impossible.
On peut aussi penser à certains groupes, qui pour des raisons juridiques, sont contraints d’isoler certaines filiales hors de l’arbre de détention capitalistique principal.
Le prêt de trésorerie hors groupe intéresse donc plusieurs clients.
Au plan juridique, le prêt à une société non détenue pose question
Le code monétaire et financier semble proscrire cette opération, mais la jurisprudence a apporté une précision importante.
Le prêt de trésorerie implique en principe un lien capitalistique et un contrôle.
L’article L 511 7 3° du code monétaire et financier indique que les sociétés peuvent procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant des des liens de capital conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres.
Cet article pose le principe du monopole bancaire. Il interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit d’effectuer des opérations de banque à titre habituel.
Au-delà même du lien capitalistique, le texte exige une situation de contrôle effectif.
Le pouvoir de contrôle effectif doit résulter uniquement d’une relation de capital. Celui-ci existe si la holding détient directement ou indirectement plus de la moitié du capital des autres sociétés.
Toutefois en pratique, cette condition nous semble remplie même si la participation de la holding n’est pas majoritaire, si aucun autre associé ne détient une participation empêchant la holding d’exercer son contrôle.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le texte ne donne pas un pourcentage minimal de détention pour justifier le contrôle.
La jurisprudence a élargi le champ des exceptions au monopole bancaire
La Cour de cassation a rendu un arrêt le 10 décembre 2003, ayant apporté deux précisions importantes.
En premier lieu, la jurisprudence accepte désormais les opérations de trésorerie entre sociétés sœurs. Des sociétés sœurs n’ont par définition aucun lien capitalistique direct entre elles.
Dans ce cas de figure, le lien en capital n’a à être caractérisé qu’à l’égard de la holding. Toutefois, à l’intérieur du groupe détenu par la holding, les opérations de trésorerie échappent au monopole bancaire même si les filiales n’ont pas de lien entre elles.
Au-delà de cela, la Cour inclut dans le périmètre de l’article L 511-7, 3 les groupes contrôlés par une personne physique. Cette affirmation ne pouvait résulter d’une lecture stricte du texte. En effet, celui vise les entreprises. Or ce terme ne semble donc concerner que les personnes morales. A tout le moins, nous pouvions légitimement penser que, dans une acception large du terme « entreprise », seuls les entrepreneurs individuels seraient visés. Il n’en est rien puisque la Cour désigne les personnes physiques au sens large.
Autrement dit, nul besoin que la holding du groupe détienne individuellement et directement toutes les sociétés du groupe.
Dans certains cas de figure, le fait que certaines filiales soient détenues par la holding, d’autres par la personne physique détenant elle-même la holding, suffira à caractériser un contrôle effectif. Les opérations de trésoreries pourront donc être envisager.
Au plan fiscal, le prêt sans lien de capital peut aussi interroger
Le principal risque réside dans la caractérisation d’un acte anormal de gestion par la holding, qui consentirait un prêt sans prendre en compte son propre intérêt.
Le prêt à une filiale non contrôlée peut-il faire naitre un acte anormal de gestion ?
D’un point de vue fiscal, il convient que la holding soit rémunérée à raison des sommes avancées à la filiale, faute de quoi il y aurait acte anormal de gestion.
Toutefois, on sait aussi que l’administration fiscale a eu l’occasion de considérer que l’associé d’une société qui ne consent pas à celle-ci un prêt à proportion de sa participation au capital bénéficie d’un avantage au titre de l’avance consentie par un autre associé.
La jurisprudence est peu fournie sur le sujet.
La Cour administrative d’appel de Versailles a eu l’occasion de donner raison à l’administration fiscale dans un arrêt du 23 octobre 2009. Dans cette affaire, une société détenait 60% d’une SCI, dont le solde du capital soit 40% était détenu par le principal actionnaire de la société holding, une personne physique. La holding avait consenti seule une avance en compte courant, rémunérée.
L’administration fiscale a considéré que la holding avait consenti à son propre associé personne physique une libéralité imposable dans la catégorie des revenus distribués dont le montant correspond à 40% de l’avance accordée par la société.
La Cour a jugé que la personne physique avait effectivement bénéficié d’une libéralité dès lors qu’il « est devenu propriétaire, à hauteur de sa participation au capital de la société civile immobilière, de l’ensemble immobilier acquis sans avoir contribué personnellement au financement de cette opération ».
Cette jurisprudence fiscale s’étend-elle à tous les cas de figure ?
Nous considérons pour notre part que l’analyse de la Cour est manifestement erronée car la personne physique a contribué, au même titre que la société holding, au financement de l’immeuble grâce au produit tiré de la location. La situation de l’associé est la même que celle qui aurait été la sienne si la partie financée en compte courant d’associé avait financée par un emprunt bancaire.
Le Tribunal Administratif de Lyon a d’ailleurs récemment donné tort à l’administration fiscale dans un jugement du 6 décembre 2022. Ici, il s’agissait d’une SCI constituée par des personnes physiques pour 40% du capital et par une société d’exploitation (détenue par les personnes physiques) pour 60%. Seule la société d’exploitation avait participé au financement au-delà du capital de 30 K€, en versant en compte courant d’associé bloqué la somme d’environ 1,7 M€.
L’administration fiscale a considéré que la société d’exploitation avait commis un acte anormal de gestion au bénéfice exclusif des personnes physiques et a imposé ces dernières au titre d’un revenu réputé distribué.
Le juge a considéré que le fait pour une société commerciale de consentir à participer au capital d’une société civile immobilière avec des associés personnes physiques, par ailleurs actionnaires et mandataires sociaux de cette société commerciale, dans le cadre d’un projet immobilier visant au développement de son activité ne constitue pas en soi, un acte ne relevant pas d’une gestion commerciale normale ni même la présomption d’un tel acte, mais relève de l’opportunité de ses choix de gestion, quel que soit le rendement escompté de cette participation au capital de la SCI pour chacun des associés concernés.
Cette jurisprudence nous paraît davantage en ligne avec le principe de liberté de choix des modes de financement d’une entreprise, consacré depuis longtemps par le Conseil d’État.