Comme son nom l’indique, l’usufruitier jouit des fruits produits par l’objet dont il a l’usufruit.

Le quasi usufruit porte sur des biens consomptibles c’est-à-dire des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer. Par exemple, cela concerne l’argent, qui disparait du fait de son utilisation par l’usufruitier.

En contrepartie de cet usage, l’usufruitier doit rendre au terme de son usufruit la somme d’argent. Cette obligation envers le nu-propriétaire porte le nom de dette de restitution. Jusqu’à récemment, cette dette venait s’imputer sur l’actif successoral au jour du décès de l’usufruit.

Dans le cadre de la loi de finances pour 2024, l’article 774 bis du code général des impôts a institué un nouveau dispositif anti abus. Ce nouvel article a pour but de mettre fin aux schémas d’optimisation fiscale en matière de démembrement de propriété.

La déductibilité de la dette de restitution d’un quasi usufruit

La déduction fiscale du patrimoine successoral des « dettes de restitution » souscrites par le défunt à raison de l’exercice d’un quasi-usufruit sur des sommes d’argent est remise en cause.

Dette de restitution exigible portant sur une somme d’argent : confirmation

Les dettes de restitution portant sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit ne sont désormais plus déductibles de l’actif successoral. On se souvient que le comité de l’abus de droit fiscal avait rendu plusieurs avis le 11 mai 2023 à ce sujet.

Le comité avait dans ces espèces considéré qu’il n’y avait pas d’abus si la déduction de la dette de restitution restait mesurée au montant de la somme d’argent détenue par le donateur au jour de la donation. Pour autant, certains praticiens auxquels nous nous rangions, considéraient déjà que la stipulation d’un quasi usufruit sur une somme d’argent fleurtait dans la majorité des cas avec une situation d’abus. Nous déconseillions ainsi ces opérations auprès des clients.

La question ne se pose désormais plus, puisque le nouvel article pose une présomption irréfragable d’abus de droit fiscal. Il s’oppose donc définitivement à la déduction de la dette de restitution au jour de la succession du défunt. Ce schéma était auparavant présenté comme très avantageux au plan fiscal. En effet, les héritiers déduisaient la dette de quasi usufruit pour sa valeur en pleine propriété. Pour autant, ils avaient reçu l’argent par voie de donation taxée uniquement sur la valeur en nue-propriété.

Le nouvel article 774 bis écarte aussi la déduction des dettes portant sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit. Il pose toutefois une exception lorsque la dette n’a pas été contractée dans un objectif principalement fiscal.

Dette de quasi usufruit portant le prix de vente d’un bien

Dans ce cas de figure, la situation est différente puisque le démembrement ne porte pas directement sur une somme d’argent. Ici, le donateur a cédé gratuitement la nue-propriété d’un bien (immeuble, titres de sociétés). Il en reste usufruitier, mais prévoit qu’en cas de cession de ce bien, il bénéficiera d’un quasi usufruit sur le prix de vente. Le quasi usufruit figure généralement dans l’acte de donation, mais pas obligatoirement. 

Ici, l’article 774 bis pose une présomption simple d’abus de droit. Par conséquent, les héritiers peuvent toujours apporter la preuve contraire. Pour ce faire, ils doivent justifier que cette situation n’avait pas pour but principal de générer une dette de restitution déductible. 

Compte tenu du faible recul sur ce nouveau dispositif, il n’existe évidemment aucune jurisprudence sur le sujet. Le comité de l’abus de droit ne s’est pas non plus prononcé, puisqu’aucun cas de figure n’ayant donné lieu à contrôle lui a été soumis. Pourtant, la pratique et certains avocats fiscalistes ont semble-t-il déjà relevé un changement de posture de la part de l’administration fiscale. 

Les clients nous interrogent désormais sur l’appréciation du but principalement fiscal des opérations de donations. Une transmission avec quasi usufruit tombe-t-elle systématiquement dans le cadre de ce nouveau dispositif d’abus ?

quasi usufruit démembrement

Grille de lecture pour statuer sur les donations avec quasi usufruit sur le prix de vente

L’administration fiscale donne certaines indications dans sa doctrine, mais cela reste flou. Il ne reste que l’expérience des conseils et de votre avocat fiscaliste pour vous guider dans la stratégie patrimoniale à mettre en œuvre.

Les critères évoqués par l’administration fiscale pour apprécier si le quasi usufruit constitue un abus de droit

L’administration fiscale a commenté le nouvel article 774 bis. On apprend en lisant sa doctrine que l’absence d’abus de droit relève principalement d’un faisceau d’indices.

Par exemple, plus le temps écoulé entre le démembrement de propriété et la cession du bien démembré est long, moins l’abus sera caractérisé. A l’inverse, on en déduit qu’une donation suivie d’une vente du bien à une date très rapprochée peut constituer un indice de motivation principalement fiscale. Cette approche peut surprendre notamment quand on la rapproche de la jurisprudence rendue en matière de donation-cession. On sait que le Conseil d’Etat a déjà jugé à maintes reprises que la donation-cession ne pouvait constituer un abus de droit sauf à prouver la fictivité de la donation. Par conséquent, peu importe que la donation ait eu lieu seulement un instant de raison avant la cession. 

L’administration fiscale indique comme autre critère les motivations patrimoniales de la cession du bien. Ici, l’administration semble vouloir apprécier la situation d’abus à l’aune de la stratégie ayant abouti à la constitution du quasi usufruit. 

Enfin, l’administration s’attache également au degré de latitude de l’usufruitier à décider du report de l’usufruit sur le prix de cession.

Les premiers réflexes d’ordre pratique pour jauger du caractère abusif ou non d’un quasi usufruit

A défaut de jurisprudence et de cas concrets, le praticien doit se faire son propre avis sur l’interprétation du nouveau texte, mais aussi et surtout sur les commentaires donnés par l’administration fiscale. 

S’agissant du deuxième critère propre aux motivations patrimoniales, on ne pourra que conseiller aux clients et à leurs conseils de mener une analyse comparative et chiffrée des différents scénarios possibles en cas de démembrement. Ces trois options consistent en répartir le prix entre usufruitier et nu-propriétaire, reporter le démembrement sur un nouveau bien, ou alors bénéficier d’un quasi usufruit. Si la répartition du prix n’offre généralement aucun avantage, le choix entre report du démembrement et quasi usufruit fait quant à lui des différences importantes. On sait que dans le premier cas, c’est le nu-propriétaire qui sera le redevable intégral de l’impôt sur la plus-value. Dans le second, c’est l’usufruitier qui supportera seul l’impôt sur la plus-value (c’est en tout cas la position du Conseil d’Etat, que l’administration fiscale n’a souhaité appliquer qu’aux plus-values sur valeurs mobilières). On a du mal à voir en quoi le donateur et les donataires auraient à justifier leur choix entre un report et un quasi usufruit. 

La rédaction de la clause de quasi usufruit aura aussi son importance, notamment au regard du troisième critère évoqué par la doctrine administrative. Comme souvent, il sera prêté une attention particulière à ce que le quasi usufruit ne fasse pas prévaloir l’intérêt exclusif de l’une des parties. La situation idéale est celle dans laquelle usufruitier et nu-propriétaire trouvent un intérêt commun au quasi usufruit. Par exemple, l’usufruitier peut jouir de la somme d’argent acquise en contrepartie de la vente du bien démembré, et le nu-propriétaire ne supporte pas les droits de donation ni l’impôt sur la plus-value correspondante.

Categories: Non classé