La cession de commercialité prend la forme d’un contrat et permet à l’acheteur, propriétaire d’un immeuble à usage d’habitation, d’accroitre la rentabilité locative de son bien en lui offrant une nouvelle possibilité d’exploitation.
Rappelons que l’essor de la location courte durée a eu pour effet de réduire l’offre locative dite traditionnelle, déjà tendue dans certaines agglomérations. L’Etat et les collectivités ont donc rapidement réagi, notamment en instaurant une règle de compensation.
Inscrite dans le code de la construction et de l’habitation, cette règle conditionne l’obtention de l’autorisation de changement d’usage et donc, la possibilité d’exploiter son bien via les plateformes de location à la nuitée.
Si l’administration et la plupart des praticiens restent muets sur les aspects fiscaux de la compensation, c’est probablement que le cas de figure récemment rencontré par notre cabinet ne se présente pas régulièrement. Il mérite toutefois d’être porté à la connaissance de ceux qui, comme notre client, s’interrogent sur l’opportunité d’acquérir les droits à commercialité et les conséquences fiscales en matière d’impôt sur la fortune.
Contrôlé par un service vérificateur, un contribuable a été interrogé sur la valeur déclarée pour l’IFI d’un bien immobilier situé à Paris, pour lequel la société propriétaire avait acquis les droits de commercialité afin de pouvoir l’exploiter en courte durée.
L’achat de la commercialité accroit elle nécessairement la valeur vénale d’un actif immobilier pour l’assiette de l’IFI ?
Les droits de commercialité sont-ils des droits immobiliers au sens de l’IFI ?
Le champ d’application de l’IFI est restreint par rapport à celui de l’ISF.
L’IFI ne s’applique qu’aux actifs et droits immobiliers
Le patrimoine immobilier doit s’entendre des biens et droits immobiliers, ainsi que des parts ou actions d’entités pour leur fraction représentative de ces biens ou droits.
Il ne fait guère de doute que les droits de commercialité ne constituent pas un immeuble.
Sur la question de savoir s’ils constituent un droit immobilier, la question est plus ténue. Relevons que l’article 965 du code général des impôts vise en pratique tous les droits réels immobiliers, c’est-à-dire les droits démembrés, droits d’usage, ou encore les servitudes ou le droit du preneur à un bail à construction.
La cession de commercialité transfère-t-elle un droit réel immobilier, c’est-à-dire un droit direct et subjectif sur l’immeuble au profit de l’acheteur ? Juridiquement, c’est l’autorisation d’urbanisme qu’elle permet d’obtenir qui vaut changement d’affectation. Certes, un flux financier s’opère entre le cessionnaire et le cédant, mais cette indemnité permet elle en tant que tel d’acquérir un droit ? Si l’assimilation fait du sens du point de vue de la TVA et de l’IS, il n’en va pas forcément de même pour d’autres impôts dont le champ d’application est plus restreint.
Mais les droits de commercialité sont attachés au local
Depuis sa modification en 2005, l’article L631-7-1 du code de la construction et de l’habitation dispose expressément que le titre de compensation est attaché au local et non à la personne. D’ailleurs, il précise que l’autorisation d’urbanisme est publiée au fichier immobilier, ce qui en fait un véritable attribut capable de suivre le bien en cas de transaction portant sur celui-ci.
La compagnie nationale des commissaires aux comptes préconise d’intégrer le droit de commercialité au prix de revient du terrain de l’immeuble auquel il se rattache, ce qui semble cohérent dans la mesure où ce droit ne peut être détenu qu’avec l’immeuble concerné. Chez le cédant, le droit de commercialité sort du bilan par le biais d’une diminution de la valeur nette comptable du terrain correspondant à ce droit. Chez l’acquéreur, ce droit vient augmenter la valeur de l’immeuble au bilan. Le droit de commercialité n’est pas amortissable dans la mesure où l’autorisation d’urbanisme ne produit pas un effet limité dans le temps. En revanche, une dépréciation reste envisageable si les avantages attendus de ce droit ne justifient pas sa valeur à l’actif.
Au plan comptable, il faut donc en conclure que la valeur brute de l’immeuble inscrit au bilan augmentera après l’achat de la commercialité. Mais faut-il pour autant tirer au plan fiscal toutes les conséquences de ces écritures comptables ?
La réponse n’est pas évidente s’agissant spécialement de l’IFI. On sait en effet que l’IFI s’appuie sur une méthodologie particulière de détermination de la base taxable, laquelle repose notamment sur la substitution de la valeur vénale de l’immeuble à la valeur inscrite au bilan, qui n’a guère d’intérêt à propos d’un impôt basé sur la valeur réelle fixée au 1er janvier de chaque année. Autrement dit, la valeur inscrite au bilan n’a aucune signification particulière pour l’IFI et le contribuable ne doit pas en tenir compte. Ce n’est que si le droit de commercialité a pour effet d’augmenter la valeur vénale de l’immeuble qu’il sera pris en compte dans le calcul de l’assiette pour cet impôt.
Pour autant, un autre problème se pose en pratique, dans la mesure où l’achat de la commercialité se traduit généralement par une rentabilité supplémentaire que l’acquéreur peut escompter grâce au changement d’usage. En effet, le même immeuble ne produit pas les mêmes revenus avant et après l’achat de ce droit, puisque l’on sait que la location courte durée dégage en principe des revenus substantiellement supérieurs à ceux générés par une location meublée traditionnelle.
Le débat pourrait donc se déplacer sur la méthode de valorisation de l’immobilier. L’administration et le juge judiciaire ont une préférence pour la méthode par comparaison, mais la méthode par rendement n’est pas en reste. Dans le cas d’un appartement très bien situé, l’administration serait-elle fondée à réévaluer la valeur vénale d’un actif immobilier sur la base d’une exploitation plus lucrative qu’aurait permis d’obtenir la compensation ? On pourrait certes rétorquer selon les cas, que la valeur d’un immeuble ne dépend pas de son potentiel locatif, notamment si de par son adresse et son environnement, l’acheteur potentiel n’est pas un investisseur. L’analyse du règlement de copropriété peut également nous aider, par exemple s’il prévoit une clause d’habitation bourgeoise exclusive, interdisant formellement l’exploitation en courte durée. Dans ce cas, on voit mal la rentabilité supplémentaire obtenue grâce à l’achat du droit de commercialité, même si un règlement de copropriété n’est pas immuable.
Malgré tout, et dans l’hypothèse où le droit de commercialité augmenterait d’une manière ou d’une autre la valeur vénale de l’immeuble pour l’assiette à l’IFI, pourrait on en atténuer les conséquences en déduisant la dette ayant servi à cette acquisition ?
Déduction de la dette ayant servi à financer l’achat de la commercialité
Les banques demeurent frileuses à financer l’achat de ce droit, précisément parce que les services juridiques internes n’ont pas encore défini la véritable nature et valeur de cet attribut.
Les dettes déductibles sont celles relatives aux actifs imposables
Seules les dettes afférentes à des actifs imposables viennent en déduction de l’assiette. Une liste limitative prévoit notamment celles relatives à l’acquisition des biens ou droits immobiliers.
Rappelons ici que la loi de finances pour 2024 a corrigé la dissymétrie qui existait précédemment entre les immeubles détenus directement et ceux détenus au travers de sociétés. Désormais et y compris pour la détermination de la valeur vénale des titres de sociétés, les passifs sans lien avec un actif taxable seront neutralisés.
Pour l’appréciation du caractère déductible de la dette, il convient de distinguer selon le terrain sur lequel se place l’administration pour intégrer les droits de commercialité dans l’assiette de l’IFI.
Si elle considère le titre de compensation comme un véritable droit réel immobilier rattaché directement au local, on a du mal à voir comment elle pourrait, pour l’appréciation des passifs, rejeter la prise en compte de la dette bancaire ayant servi à financer l’achat de ce droit. Relevons toutefois que la dette n’est pas éternelle (une augmentation mathématique aura donc lieu chaque année), et précisons surtout une nouvelle fois que, dans la mesure où les partenaires bancaires ne financent généralement pas ces opérations, il y a de fortes chances pour que l’achat ait lieu via l’abondement d’un compte courant d’associé, dette par principe non déductible sauf application de la clause de sauvegarde. Le contribuable serait-il en mesure de justifier que ce compte courant n’a pas été contracté dans un but principalement fiscal ? Compte tenu de la particularité de la situation, on peut l’envisager, sous certaines conditions et notamment la preuve d’une impossibilité pratique de faire financer la transaction.
Si en revanche l’administration considère que le droit de commercialité n’est pas un droit immobilier, mais qu’il participe à une hausse de la valeur vénale du bien au travers un rendement théorique supplémentaire, la situation est beaucoup plus délicate pour la déduction du passif, dans la mesure où la commercialité n’entrerait pas dans la liste limitative des dépenses admises en déduction.
Le titre de compensation soulève de nombreuses difficultés vis-à-vis de l’IFI
En synthèse, le régime fiscal des droits de commercialité n’a pas encore livré toutes les réponses attendues. Si le juge a déjà eu l’occasion de se prononcer à propos de certains impôts (notamment en matière d’IS), on ne saurait en tirer des suppositions duplicables aux autres pans de la fiscalité.
Pour ce qui est de l’IFI, l’administration ne s’est pas encore prononcée officiellement, mais le cas de notre client ne sera vraisemblablement pas isolé, notamment s’agissant des biens exceptionnels dont l’enjeu pour le Trésor est important.
Quelle sera la position retenue en matière de droits de mutation à titre onéreux ? La cession de commercialité pouvant intervenir sous seing privé, les parties doivent-elle spontanément faire enregistrer leur acte et régler les droits ?
Dans le cadre d’une succession portant sur des actifs auxquels sont attachés les droits, la valeur vénale sera-t-elle évaluée en prenant en compte cette survaleur ?
En l’absence de réponses, les praticiens sont laissés à leur interprétation. Nous vous recommandons bien évidemment la plus grande vigilance dans l’approche fiscale de vos opérations.