Une société civile peut-elle revêtir la qualité d’associée d’une société commerciale ? Le titre est accrocheur et la réponse peut sembler évidente. Pour autant, le cas auquel a dû faire face le cabinet ne se présente pas souvent et a soulevé une problématique intéressante au plan fiscal.
Elle s’inscrit dans le contexte, assez régulier en pratique, où une société civile immobilière possède un immeuble à usage double. D’une part, les associés s’en réservent la jouissance gratuite une majeure partie de l’année, d’autre part ils souhaitent le louer au profit de tiers le restant de la période.
Pour des raisons que nous ne détaillerons pas ici et propres à la résidence fiscale monégasque des bénéficiaires effectifs, la société civile immobilière est détenue dans notre cas de figure par une autre société civile particulière, laquelle est détenue par les personnes physiques.
S’il eut été tentant de transformer la SCI en SNC (société en nom collectif) afin de préserver la translucidité de la chaine de détention, c’était sans compter sur l’incompatibilité entre société civile et la qualité de commerçant intrinsèque à la SNC, dont nous vous proposons d’approfondir les conséquences au plan fiscal.
La société civile n’est pas adaptée à une utilisation partagée du bien
Dans une volonté d’éviter l’assujettissement à l’IS de la société, la conservation du statut de SCI est généralement incompatible avec une utilisation partagée du bien.
La translucidité de la SCI implique de ne pas exercer d’activité commerciale au plan fiscal
Le dilemme est désormais bien connu des praticiens.
Une SCI translucide peut mettre gratuitement un bien à disposition de ses associés sans comprendre la valeur locative du bien dans son résultat imposable (extension de l’article 15 du CGI aux associés des sociétés de personnes). En revanche, toute location directe ou indirecte de locaux meublés par cette même SCI pendant une période de l’année la rendra automatiquement passible de l’IS sur son résultat, selon les dispositions combinées de l’article 206,2 et 35 5°bis du CGI.
A l’inverse, une SARL de famille perd le bénéfice de la translucidité fiscale si elle se livre à une activité civile, telle que la mise à disposition gratuite de ses actifs immobiliers au profit de ses associés.
Dès lors, en présence de résidences secondaires dont les propriétaires souhaitent à la fois en profiter et les louer une partie de l’année, le casse-tête peut rapidement devenir insurmontable.
La société en nom collectif combine les attributs d’une SCI et d’une SARL de famille
Dans de nombreux cas, le cabinet est intervenu au profit des clients concernés par cette problématique, soit par voie de création, soit par voie de transformation, au moyen d’une société en nom collectif (SNC).
Il s’agit d’une société de personnes commerciale. A la différence de la SCI, la société en nom collectif peut parfaitement exercer une activité commerciale (notamment la location meublée) sans être passible de l’IS. De même, dans la mesure où la translucidité ne découle pas d’une option expresse comme c’est le cas d’une SARL de famille, l’exercice d’une activité civile n’est pas contraignant.
Au rang des inconvénients, il convient d’en citer deux. Premièrement, chaque associé sera débiteur d’une cotisation sociale minimum chaque année, sauf à être déjà affilié au régime des travailleurs non-salariés par ailleurs. Deuxièmement, la qualité d’associé d’une société en nom collectif emporte la qualité de commerçant.
Incompatible avec certaines professions (notamment libérales), la qualité de commerçant peut également nous amener à nous interroger sur la possibilité de faire détenir les parts de la SNC par une société civile elle-même translucide.
Quand le juridique l’interdit, le fiscal peut rester silencieux
Les conséquences tirées de la qualité d’associé d’une société en nom collectif doivent-elles rejaillir au plan fiscal ?
Une société civile ne peut pas être associée d’une société en nom collectif
L’article L221-1 du code de commerce est très clair puisqu’il prévoit indirectement que les associés d’une SNC doivent pouvoir détenir la qualité de commerçant.
En conséquence, toute immatriculation d’une SNC détenue par une société se trouvant en incompatibilité avec ce statut est impossible. La cour d’appel de Versailles a par exemple donné raison au greffe du tribunal de commerce de Paris ayant rejeté par ordonnance la constitution d’une SNC par plusieurs associés au rang desquels figurait une SELARL, société commerciale par sa forme mais civile par son objet (CA Versailles, 12e ch., sect. 2, 28 oct. 2004, n° 04/02127).
La règle vaut également pour tout acte postérieur à l’immatriculation qui aurait pour effet de transgresser cette règle stricte. On pense notamment à une cession de parts sociales (qui devrait nécessairement être déposée auprès du greffe) ou encore à une transformation d’une société préexistante en SNC, si parmi les associés de la société transformée figurent des entités sous incompatibilité.
Pour autant, il convient de tempérer ces propos en ce qu’il n’est pas du tout évident que chaque greffe en France se livre à une appréciation telle que celle à laquelle s’est livré le greffe du tribunal de commerce de Paris. En particulier, il serait tout à fait envisageable qu’une opération de cession de parts sociales ou de transformation échappe à la vigilance des greffiers, et qu’elle soit retranscrite ainsi sur les documents officiels, tels que le Kbis.
Nous ne nous prononcerons pas ici sur les éventuelles conséquences purement juridiques découlant de ce loupé, mais il convient en revanche de s’interroger sur le sort fiscal réservé à l’associé de la SNC, se retrouvant dans une situation contraire au code de commerce et non traitée au plan fiscal.
Une société civile associée d’une société en nom collectif devient-elle passible de l’IS ?
L’article 206,2 du CGI liste les cas dans lesquels les sociétés civiles deviennent passibles de l’IS. Celui qui nous intéresse est « l’exploitation ou l’exercice d’opérations commerciales ». A la question de savoir si la détention d’une participation dans une société commerciale est assimilable à une exploitation ou une opération commerciale, la réponse est non. Il en va de même lorsque la qualité d’associé de la société commerciale emporte la qualité de commerçant. La jurisprudence a eu l’occasion de confirmer à de multiples reprises que la détention par une EURL translucide d’un portefeuille de participations dans une SNC exploitant des hôtels n’emporte pas application de l’article 238 bis K I du CGI. Assez étrangement, c’est la même position qu’a un temps adopté l’administration, notamment dans sa réponse Dubernard (AN 23-10-1995 p. 4444 n° 27742).
On relèvera cependant deux fragilités à ce raisonnement un peu trop direct. En premier lieu, la jurisprudence se concentre sur les participations détenues par des sociétés de personnes pouvant elles-mêmes exercer une activité commerciale (EURL, SARL de famille) ce qui n’est pas le cas d’une SCI. Cet aspect est-il de nature à remettre en cause la réponse dessinée ci-dessus ? Nous ne le pensons pas. En revanche, bien plus épineuse est la question des sociétés civiles étrangères, telles que les sociétés civiles particulières de droit monégasque, laquelle dans notre cas était appelée à devenir associée d’une SNC de droit français.
Sur ce sujet, la question se pose réellement de savoir si l’administration fiscale française pourrait se servir d’une situation anormale au plan juridique pour en tirer une assimilation de la société étrangère en droit français différente de celle naturellement admise. On sait que la jurisprudence Artémis du Conseil d’Etat (CE 24-11-2014 n° 363556 plén., Sté Artémis SA) conduit à s’interroger sur les caractéristiques juridiques de l’entité étrangère que l’on cherche à qualifier fiscalement en droit français. Au cas qui nous intéresse, le risque que l’administration fiscale française se serve d’une conséquence tirée du droit français sur une société étrangère aux fins de disqualifier cette dernière de société assimilable à une société de personnes n’est pas anecdotique. Ce risque doit-il être pris, rien n’est moins sûr. Nous recommandons aux clients la plus grande prudence dans ce genre de schémas, en gardant à l’esprit que la perte de la translucidité fiscale et l’assujettissement à l’IS peuvent avoir des conséquences bien plus lourdes en cas de revente, que l’économie procurée par une structuration alléchante.
Pour sauver l’essentiel, mieux vaut parfois accepter de se rabattre sur une solution moins attrayante.
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