Le démembrement de propriété consiste à attribuer l’usufruit et la nue-propriété à deux personnes différentes. Cette situation pose des problématiques de fiscalité immobilière.

De nombreuses questions demeurent encore sans réponse claire, dont une relative à l’imposition des plus-values immobilières.

En tant qu’avocat fiscaliste (AGBC avocats), j’ai récemment eu à prendre position sur le cas d’une vente d’un bien immobilier dont la propriété avait été démembrée.

Quelle règle fiscale doit être appliquée à un cas de démembrement de propriété ?

Doit-on imposer différemment l’usufruitier lorsque son droit porte sur le bien immobilier ou sur des parts sociales de SCI ?

Fiscalité en cas de démembrement de propriété des parts de SCI

Sur ce point, les règles sont plutôt claires.

En quoi consiste le démembrement de propriété ?

La propriété combine le droit de jouir d’un bien immobilier et le droit d’en disposer.

Le droit de jouir d’un bien immobilier correspond à l’usufruit. Autrement dit, l’usufruitier peut utiliser le bien (usus) et en percevoir les fruits (fructus). A l’inverse le droit de disposer correspond par exemple à la vente ou donation du bien (abusus) qui appartient au nu-propriétaire.

Démembrer le droit de propriété revient donc à dissocier l’usufruit de la nue-propriété. La technique du démembrement de propriété peut porter sur un bien précis ou sur une universalité de biens.

On trouve des situations de démembrement par cause de la loi (conjoint survivant) mais aussi par contrat. Dans ce dernier cas, le démembrement peut être soit gratuit (donation de nue-propriété) soit onéreux (cession de l’usufruit par exemple).

Le démembrement se pratique très régulièrement en matière de fiscalité immobilière. Il permet de transmettre un patrimoine immobilier aux descendants en optimisant la fiscalité. Le schéma le plus connu du grand public consiste à donner la nue-propriété d’un bien immobilier à ses enfants. Comme la donation ne porte que sur la nue-propriété, l’assiette des droits de donation se trouve réduite par rapport à une succession qui porterait sur la pleine propriété du patrimoine. Au décès de l’usufruitier donateur, le droit d’usufruit rejoint la nue-propriété précédemment donnée en franchise d’impôt. Cela résulte de l’article 1133 du code général des impôts.

Il existe des situations dans lesquelles les parents ont transmis la nue-propriété du patrimoine aux enfants, et décident ultérieurement de vendre ce patrimoine. Par exemple, une mère transmet la nue-propriété d’un immeuble ou de parts sociales de SCI à ses enfants pour anticiper sa succession. Quelques années plus tard, la famille s’entend pour céder l’immeuble à un tiers.

Quelles sont les règles de fiscalité applicables à la plus-value immobilière en cas de démembrement ?

L’approche de l’administration fiscale lorsque le démembrement porte sur des parts sociales

La position de l’administration diffère découle de la doctrine BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60, dans laquelle elle distingue trois cas de figure.

Soit il s’agit d’une cession conjointe par l’usufruitier et le nu-propriétaire avec répartition du prix de vente. Dans ce cas, il faut alors calculer une plus-value chez chacun des titulaires respectifs. Usufruitier et nu-propriétaire sont potentiellement imposés.

Soit le prix de cession est remployé sur un nouveau bien, sur lequel le démembrement se reporte. Dans ce cas, la doctrine indique que le redevable de l’impôt sur la plus-value est le nu-propriétaire.

Soit enfin, l’usufruitier s’attribue le prix de vente sous forme de quasi usufruit. Il est donc cohérent qu’il soit le seul redevable de l’imposition sur l’éventuelle plus-value.

Cette doctrine est d’ailleurs en accord avec la jurisprudence qui applique les mêmes principes. On peut notamment se référer à un arrêt récent du Conseil d’Etat sur le sujet : CE 17-11-2021 n° 437329 BPAT 1/22.

Autrement dit, dans l’hypothèse où les parents auraient fait porter le démembrement sur des parts sociales de SCI et souhaiteraient s’attribuer le prix de vente sous forme de quasi usufruit (cas le plus récurent pour des raisons évidentes de gestion patrimoniale), l’administration admet que la plus-value ne soit imposable qu’en leur nom. Dans certains cas de figure, grâce à la durée de détention suffisante ou à la notion de résidence principale, cette plus-value est exonérée fiscalement.

Nous allons voir qu’il en va, théoriquement, différemment lorsque le démembrement ne porte pas sur des parts sociales mais sur le bien immobilier directement.

fiscalité démembrement propriété

Quelle fiscalité si le démembrement porte sur le bien immobilier ?

Cette question fait l’objet de nombreux débats entre praticiens, notaires et avocats notamment.

Le silence de l’administration interprété par la pratique des rédacteurs d'actes

La doctrine administrative précitée ne concerne que les cas où le démembrement porte sur des parts sociales.

Lorsqu’il porte sur un bien immobilier, il faut se référer au BOFIP BOI-RFPI-PVI-20-10-10. Dans cette doctrine, l’administration ne semble envisager qu’un seul cas contrairement aux trois admis en matière de plus-value sur valeurs mobilières : celui d’une répartition du prix de vente entre usufruitier et nu-propriétaire. Par cohérence avec sa position adoptée pour les parts sociales, elle considère que, dans ce cas, l’impôt est supporté par chaque titulaire.

Le silence porté sur la situation d’un report de démembrement ou d’un quasi usufruit pose une sérieuse problématique fiscale.

Quelle fiscalité appliquer lorsque les parents ont démembré la propriété d’un bien immobilier et souhaitent le vendre en percevant l’intégralité du prix de vente ?

En l’absence de réponse explicite, certains considèrent qu’il faut appliquer la fiscalité prévue en cas de répartition du prix : imposition de l’usufruitier et du nu-propriétaire. Cette position, notamment défendue par certains notaires rédacteurs d’actes, consiste à considérer que ce que l’administration n’écrit pas expressément n’est pas possible.

Pourtant, une autre analyse nous semble légalement fondée et permettrait d’obtenir une situation fiscalement plus avantageuse au profit des clients vendeurs.

La position qui pourrait être défendue en droit

Commençons par rappeler que la doctrine administrative n’est pas la loi. Il ne s’agit que d’une interprétation faite par l’administration des règles de droit en vigueur.

S’il est certes curieux que l’administration n’ait pas jugé utile de transposer sa position adoptée en matière de plus-values sur valeurs mobilières aux plus-values immobilières, on peut en revanche chercher à raisonner et expliquer ce qui pourrait justifier une telle différence de traitement.

Or, on s’explique mal ce qui fonderait cette différence de traitement fiscal, dans la mesure où le raisonnement juridique découle directement de l’article 621 du code civil, lequel dispose que « en cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix ».

Dès lors, si les parties dérogent au principe de la répartition par voie conventionnelle, le redevable de l’impôt sur la plus-value est corrélativement celui qui bénéficie de l’enrichissement à terme en cas de remploi (nu-propriétaire) ou celui qui dispose de la libre disposition du prix (quasi-usufruitier).

Ne pas appliquer cette règle aux cas de démembrement portant sur des biens immobiliers, au seul motif que l’administration ne le prévoit pas expressément, revient selon nous à adopter une posture de prudence exagérée.

On peut d’ailleurs s’interroger sur l’absence de jurisprudence rendue sur ce sujet, alors qu’il s’agit vraisemblablement d’un cas de figure très récurrent, qui a déjà dû faire l’objet de discussions.

L’une des hypothèses expliquant ce vide jurisprudentiel pourrait être de considérer que, lorsque le contribuable a osé appliqué ce raisonnement malgré le silence du BOFIP, l’administration fiscale n’a, soit volontairement pas mis en œuvre la procédure de rectification, soit a abandonné les poursuites avant la voie juridictionnelle, afin de ne pas risquer une décision défavorable pour elle, ce qui aurait pour conséquence de lever le voile sur un flou entretenu depuis des années.

Notons en effet que la perte de recettes pour le Trésor pourrait se révéler importante, tant le nombre de cas doit être conséquent.

Quoi qu’il en soit, la position du cabinet AGBC AVOCATS ne doit pas être mise en œuvre sans précautions. Au rang des possibilités pour se couvrir d’une interprétation divergente, figurent notamment la voie du rescrit ou, plus simplement, l’insertion d’une mention expresse dans l’acte de vente. Ces deux moyens nous paraissent a priori suffisants pour démontrer la bonne foi du contribuable et lui éviter, en cas de contrôle, l’application des majorations et intérêts de retard.

Ayant à plusieurs reprises assister des clients sur cette problématique, et notamment participé à la rédaction de rescrits et mentions expresses, nous sommes à votre disposition pour intervenir sur votre cas de figure et vous permettre de réaliser des économies fiscales.


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